Nic las
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Bonjour tout le monde,
Lors de l’événement Blancpain du mois de mai dernier, Vincent Calabrese, l’horloger à l’origine du tourbillon et du carrousel Blancpain, a présenté des films expliquant les différences entre ces deux complications. Vu l’absence de commentaires, je me suis dit qu’un post ne serait pas inutile. Je profite de cette introduction pour remercier M. Calabrese pour son génie créatif, ainsi que toute l’équipe Blancpain. Sans leur gentillesse et leur disponibilité, rien de ceci n’existerait.
Comme d'habitude, toutes les questions et tous les commentaires sont les bienvenus.
DÉFINITION
Un tourbillon ou un carrousel sont des dispositifs tournants destinés à améliorer la précision des montres mécaniques en contrebalançant les perturbations de l'isochronisme du balancier dues à la gravité terrestre en faisant tourner l’échappement (balancier, spiral, ancre, roue) sur lui-même. Le brevet du tourbillon a été déposé par Abraham-Louis Bregueten 1801 ; celui du carrousel par Bahne Bonniksen en 1892. Ce dernier, né en 1859 et décédé en 1935, était un horloger d’origine danoise résidant à Londres. Au gré de mes pérégrination sur internet, j’ai découvert qu’il était aussi l’inventeur d’un tachymètre isochrone.
Crédit :egodesign.ca & bahnebonniksen.com
LE TOURBILLON BREGUET
Crédit : deniz @ phase-de-lune.net
Voici le schéma d’un mouvement « classique » (pour plus d’explications voir les notions de base) :
A = barillet
B = roue de centre
C = roue de moyenne
D = roue des secondes
E = roue d’échappement
F = ancre
G = balancier
Pour passer d’un mouvement classique à un mouvement avec tourbillon, il faut réagencer un certain nombre de pièces :
Crédit : clock-watch.de
La roue de seconde (D) devient donc une pièce fixe autour de laquelle la cage – qui sert à maintenir ensemble le balancier (G), l’ancre (F) et la roue d’échappement (E) – vient effectuer ses rotations entraînée par le pignon (P) de la roue d’échappement (E). On remarquera que dans ce cas-ci la cage et le balancier sont coaxiaux, ce qui a obligé à redessiner l’ancre qui est devenue une ancre latérale ou « de coté ».
Le lien entre l’échappement du tourbillon et le reste du mouvement (roue de moyenne) se fait via le pignon (Q) qui est monté sur l’axe de la cage mais se trouve en dessous d’elle.
LE TOURBILLON BLANCPAIN
Crédit =small-luxury-world @ blancpain.watchprosite.com
En 1985, Vincent Calabrese collabore avec la société Piguet pour créer un tourbillon destiné à la maison Blancpain. L’architecture de son tourbillon innove sur un point particulier qui fera couler beaucoup d’encre : afin de pouvoir aligner l’ensemble des pièces, la cage et le balancier ne sont plus coaxiaux – ce qui a accessoirement pour conséquence que l’ancre est désormais « droite » et non plus « latérale ». Comme on peut le voir dans le schéma ci-dessous, les points de pivotement (e, f, g) des différents mobiles sont en effet parfaitement alignés.
Cette disposition entraînera de nombreuses critiques, et certains, dans le but de rabaisser le travail effectué, assimileront ce tourbillon à un« vulgaire carrousel ». En effet, il y avait, et il y a toujours, une confusion réelle entre coaxialité et tourbillon. Ainsi dans le manuel «Théorie d’horlogerie», les auteurs définissent ainsi les deux complications (pp. 167-168) :
Mais pourquoi donc le carrousel était-il moins bien considéré que le tourbillon ? Pourquoi sa simple évocation pouvait-elle servir de critique ?Tourbillon : (…) Le point essentiel à remarquer est qu’il existe une parfaite coaxialité de l’axe du balancier et de celui de la cage.
Carrousel : On constate que l’axe du balancier est placé à une certaine distance de l’axe de la plate-forme. C’est ce qui différencie le carrousel du tourbillon.
LA MAUVAISE RÉPUTATION
La grande différence entre les architectures de l’invention de Breguet et celle de Bonniksen est que, dans le premier cas, un seul train de rouages motorise la cage et le balancier, tandis que dans le second, l'horloger a créé un effet de différentiel où la cage et le balancier sont « motorisés » par deux forces différentes. Cela a une conséquence toute simple : le balancier d’un carrousel peut continuer à fonctionner alors que la cage est arrêtée ce qui n’est pas le cas avec un tourbillon. On voit déjà ici que la coaxialité des mobiles n’a sans doute rien à voir dans ce qui différencie les deux complications.
L’invention de l’horloger danois pose au moins deux problèmes : d’abord, contrairement à ses espoirs, elle compte plus de pièces et est plus délicate à régler qu’un tourbillon ; ensuite, si la cage du tourbillon tourne en 1 minute (*), ce n’est pas le cas du carrousel qui prend près d’une heure pour effectuer une rotation complète. Le caractère complexe, peu spectaculaire et « approximatif » du carrousel, associé au prestige de Breguet, suffiront à bâtir sa mauvaise réputation qui deviendra synonyme de complication « moins aboutie, moins raffinée ».
(*) Même s’il existe des tourbillons dont la cage effectue sa rotation plus ou moins rapidement, avec l’architecture classique proposée ici, c’est bien le cas – ce qui permet d’ailleurs de mettre une aiguille des secondes sur l’axe de la cage.
LE CARROUSEL BONNIKSEN
Crédit : bahnebonniksen.com
Si on part du mouvement en ligne comme précédemment, la première chose que l’on remarque dans le carrousel, c’est l’adjonction de pièces.
K = Roue de carrousel
La première pièces est la roue de carrousel (K) qui est la sœur jumelle de la roue de centre (B). Le pignon (c) de la roue de moyenne (C) va servir d’intermédiaire entre les deux mobiles. Comme (K) est identique à (B) et est en prise directe avec elle via le pignon (c), elle devrait tourner à la même vitesse, soit un tour par heure. Or, comme nous le savons déjà, ce n’est pas le cas.
L = Plateau de cage
On vient ensuite placer le plateau de la cage (L) au-dessus de la roue de carrousel (K). Les deux pièces sont solidaires.
Le reste des mobiles est disposé comme suit : d’abord la roue des secondes (D) que vient coiffer la deuxième partie du plateau de cage(L2) ; ensuite la roue d’échappement (E), l’ancre (F) et le balancier (G). Comme dans une montre classique, la roue des secondes (D) est en prise avec la roue d’échappement (E), laquelle est en prise avec le balancier (G) via l’ancre (F).
Cette construction particulière amène à deux remarques : d’abord,contrairement au tourbillon, la roue des secondes est totalement libre, elle n’est pas fixe et n’est pas solidaire du plateau de cage ; par contre, l’échappement (EFG) est lui bien solidaire du plateau de la cage et sera entraîné par lui dans sa rotation.
Si on regarde le carrousel par en-dessous, on se rend compte que c’est la roue de moyenne (C) qui va alimenter le pignon (d) de la roue des secondes (D) qui passe par le trou central de la roue de carrousel (K) du plateau de la cage (L1).
Chose étrange : la cage du carrousel, pourtant en prise avec la roue de centre, effectue une rotation complète en 58m20s. Or, ici, comme pour le tourbillon, les roues sont identiques à celles d’un mouvement classique, on n’a pas dû recalculer les engrenages. Le carrousel, sauf à procéder à des réglages complexes (*), fait donc prendre naturellement de l’avance à la montre. Cette particularité est due au fait que Bonniksen avait en face de lui un effet de différentiel très particulier – effet qu’il n’identifiera jamais comme tel. Ce différentiel est constitué par, d’une part, la roue de moyenne (C) qui vient alimenter l’échappement (EFG) du carrousel via la roue des secondes (D) et son pignon (d) ; et, d’autre part, par le pignon (c) de la roue de moyenne qui va alimenter, via la roue de carrousel (K), le plateau de cage (L1 & 2) qui supporte lui aussi l’échappement (EFG) ; ces deux forces vont se rencontrer au niveau de la roue d’échappement (E) qui verra sa vitesse augmentée d’autant.
Pour comprendre cet effet de différentiel, il faut bien garder en tête que si on coupe l’alimentation du plateau de carrousel, la montre continuera à fonctionner – la roue des secondes est libre au contraire de celle du tourbillon, mais on perdra l’effet de rotation du plateau de la cage et donc de l’échappement (EFG) qui ne bougera donc plus – on se retrouve avec une montre classique. Ce cas de figure est tout simplement impossible dans un tourbillon où c’est la roue d’échappement en prise avec la denture de la roue fixe des secondes qui, par un effet satellitaire entraîne la rotation de la cage. Bonniksen a donc bien créé un système où deux forces convergent vers la roue d’échappement, même s’il ne s’en est pas rendu compte.
(*) A noter qu’une fois ces réglages effectués pour compenser l’effet de différentiel, le carrousel a eu de très bonnes performances chronométriques.
LE CARROUSELBLANCPAIN
Quand Blancpain et Vincent Calabrese décidèrent de collaborer à nouveau, l’idée de répondre à leurs détracteurs en créant un carrousel coaxial s’imposa assez vite. Et pour faire définitivement taire toutes les critiques, ils décidèrent de lui donner un temps de rotation de 1 minute.
La réalisation d’un carrousel coaxial se fait en déplaçant le balancier (G) et en repositionnant l’ancre (F) correctement. Cette nouvelle disposition a ceci de particulier que la cage, le balancier et la roue des secondes (D) sont désormais coaxiaux – même si la roue des secondes reste toujours libre.
Ensuite la construction du mouvement est significativement différente de celle du carrousel classique. En effet, la roue de carrousel (K) se confond avec le premier plateau de la cage et l’ensemble n’est désormais plus en prise avec la roue de moyenne (C). Par contre, on voit bien que via l’ouverture en son centre (en pointillé), le pignon de la roue des secondes va pouvoir engrener avec la roue de moyenne.
Une fois la cage montée, la montre peut fonctionner comme une montre classique sans que la cage ne tourne.
Pour assurer la rotation en une minute de la cage, il faut ajouter deux mobiles intermédiaires (M1&2) qui font la jonction entre la roue de moyenne et la denture de la roue de carrousel.
Voici le schéma final en coupe du carrousel de Blancpain :
A = barillet
B = roue de centre
C = roue de moyenne
D = roue des secondes
E = roue d’échappement
G = balancier
K = roue de carrousel
M1&2 = mobiles intermédiaires
Avec cette complication, Blancpain réalise le premier carrousel tournant en 1 minute, le premier carrousel avec balancier au centre, le premier carrousel en montre bracelet, le premier carrousel automatique, et le premier carrousel avec la plus longue réserve de marche (100 heures).
En espérant vous avoir intéressés,
Nicolas
Sources : Outre les films de la manufacture Blancpain, et les explications de Vincent Calabrese, je dois beaucoup à l’article que ce dernier à écrit dans le n°65 de juin 2009 de la revue « Horlogerie Ancienne » de l’AFAHA.