J’ai mis longtemps à me lancer pour écrire cette revue.
Je n’ai jamais eu de problème de rédaction auparavant pour mes autres montres mais là, quedal.
Rien ne venait.
Alors que pour les précédentes, les revues semblaient faciles, pour celle-ci, aucune idée de par où commencer, quoi dire, quoi montrer. C’est ballot.
Surtout quand c’est la montre qui mérite le plus.
Je me rappelle mon prof de philo en Terminal qui posait la question « Comment décrire le Beau ? »
Ben, je me retrouvais à peu près dans le même embarras ici.
Parce qu’il faut bien le dire à présent, la Nautilus 5712 est une tuerie intersidérale qui annihile toute velléité de la décrire.
Quand il faut en parler, je me retrouve comme un con à dire « Oh le cadran ! », « Oh le mouvement ! », c qui le donne l’impression que ça ne se décrit pas facilement, ça se ressent au porter.
Du coup, j’étais bien embêté pour en parler.
Cette montre ne m’avait jamais particulièrement fait rêver. Je ne vous décrirai donc pas la quête romantique de l’amoureux transi qui a économisé patiemment pendant de longues années pour s’offrir son graal dans une explosion de larmes de bonheur en savourant sa coupe de Champagne au salon Patek.
Non, pas de tout ça pour moi.
D’abord, les montres PP, je m’en souciais assez peu jusqu’à l’an dernier. La HH, bien que sublime, était hors de portée.
Je trouvais la gamme Nautilus sympa mais pas non plus de quoi m’empêcher de dormir et quand j’en voyais aux poignets des autres, ce n’était pas non plus la claque à laquelle je m’attendais.
Et puis la vie a fait que j’ai eu l’opportunité inratable d’en acquérir une à prix intéressant (non, je ne parle pas de ce magnifique modèle à 30€ que l’on m’a gentiment proposé sur le marché de Chatuchak à Bangkok un matin d’automne). Du coup, l'occasion faisant le larron, j’ai commencé à m’intéresser plus sérieusement à la gamme.
Alors je dis prix intéressant mais prix qui picote quand même. Du coup, je savais que certaines montres allaient devoir partir mais que j’aurais aussi peut-être là l’occasion de mettre un point final à mon parcours. C’est un point qui a motivé aussi ma décision et sur lequel je reviendrai à la fin.
J’ai d’abord commencé par éliminer toutes les montres en boitier or et bracelet croco. Magnifiques mais résolument pas mon style au quotidien, tant vestimentaire qu’activités (tel Poutine, j’aime chasser l’ours à mains nues en Patek).
J’ai été tenté au départ par une Aquanaut. Le cadran est magnifique en vrai mais malheureusement je n’étais pas prêt à mettre des milliers d’euros dans un bracelet en caoutchouc, fut-il composite.
J’ai aimé (j’adore toujours d’ailleurs) la pureté et la simplicité de la 5711 mais je me suis dit que tant qu’à craquer son slip pour accéder à Patek, autant ne pas faire les choses à moitié et acquérir autre chose qu’une trois aiguilles dans une maison où la complication est reine.
J’ai aimé la 5726 (que je trouve toujours magnifique, hein) mais fut dérangé par la linéarité des informations sur son cadran, le guichet de date qui vient couper le compteur 24h, le compteur 24h himself dont je ne comprends toujours pas l’intérêt (attends, si, c'est vachement pratique pour savoir s'il est 3h du matin ou 15h !). Si au moins il était réglable indépendamment pour en faire une gmt (svp M.Patek...), son jour et son mois qui semblent bien à l’étroit dans leurs guichets et leur littérature en anglais (Rolex fait sa daydate en 26 langues pourquoi pas aussi Patek ?).
Alors, je fais le difficile mais en ce qui concerne l’achat d’une Patek, mieux vaut être attentif et exigent au moins détail qui viendrait heurter sa sensibilité personnelle. A ce tarif, il ne faut accepter aucun compromis.
La 5980 a été une vraie révélation lors d’un WE varois. Quelle claque je me suis pris et qui me résonne encore à ce jour entre les oreilles. Si la 5712 est une tuerie, la 5980 est un carnage (et je ne parle même pas de la nouvelle version en or rose sortie l’an dernier qui envoie méchamment du pâté de campagne). Le principe de son chrono est extraordinaire, bien que décriées ses dimensions sont parfaites au poignet et son cadran vous met la larme à l’œil.
Et puis, il y a eu cette 5712.
Une finesse qui pousse à l’admiration, surtout quand vous arrivez à y loger des complications, un micro-rotor qui ne cache pas la moitié du mouvement, une phase de lune attirante, un bordel organisé sur le cadran d’où le bleu et le noir alternent en reflets profonds. Un calibre original et une montre qu’on ne retrouve résolument pas ailleurs (la 5711 est souvent comparée à la 15300 d’AP, la 5712 n’a quant à elle aucune concurrente sur le marché).
La commande est donc passée et je me la sors de la tête pendant les quelques mois d’attente.
A réception, je n’ai pas vu venir le mawashi geri facial que je me suis pris en la passant au poignet.
A ce moment là, vous oubliez comment vous vous appelez et où vous habitez. Les seuls mots intelligibles qui sortent de votre bouche sont « Ooooh putaaaaain Aaarrrhhh Môman ».
Parce que, oui, on touche à la perfection avec cette montre.
Côté face, un des plus beaux cadrans de l’histoire horlogère.
Un bleu qui tire au noir et vice versa selon l’angle et l’éclairage (il est d’ailleurs annoncé comme noir sur la fiche de la montre).
Pour illustrer ceci, j'ai tenté de vous faire une série de photos du cadran qui alterne simplement en fonction de la rotation du poignet.
Attention, magie.
Ça passe du bleu au noir, en passant par le gris constamment. Vous ne portez donc pas une montre mais trois, bande de veinards ! (ce qui explique aussi surement le prix, tiens)
Les complications sont harmonieusement disposées. Essayez, vous, de mettre une phase de lune, une date, une réserve de marche et une seconde sans surcharger le cadran et rendre la lecture de l’heure illisible ? La 5712 réussi ce challenge.
La décalque est sobre, suffisante (la marque, le lieu, mais pas d’étanchéité ou de blabla inutile. Même le "swiss made" se résume ici à "swiss") et surtout parfaitement réalisée sans la moindre micro-bavure, une touche de rouge venant en plus pimenter par ci, par là le regard.
(j'ai tenté la macro maison à la loupe mais promis, je ne recommencerai plus)
Côté pile, le fameux 240, un mouvement extra-plat surlequel a été ajoutée les complications lunaires et irm.
Voyez bien que Patek en mets 2 fois plus dans 2 fois moins épais que les autres.
Même mes poils arrivent à cacher la montre ! C'est pas beau, ça ?
Je suis revenu des grosses montres depuis un moment et considère désormais que l’élégance ne passe que dans la finesse.
Pour le coup, je suis servi avec ce modèle qui sait totalement se faire oublier, à tel point que les premiers matins je partais de chez moi en croyant avoir oublié de mettre ma montre.
La renommée des montres Patek Philippe passe avant tout par la qualité intransigeante de la terminaison de ses mouvements. C’est bien simple : tout se doit d’être parfait et aucune surface ne doit être laissée brute.
Le poinçon de Genève ne suffisant pas aux yeux de la manufacture, elle créée son propre label avec le Poinçon Patek Philippe en 2009.
C’est donc un festival visuel quand vous regardez votre mouvement : perlage de la platine, côtes de Genève sur les ponts, cerclage des rouages, polissage des dentures acier, anglage des ponts, étirage des flans, moulure sur les rouages pour que la denture du pignon chassé dessus puisse se refléter (ils vont loin les mecs !), et j’en passe.
C’est bien simple, vous prenez votre loupe x20, vous regardez attentivement et vous ne trouvez rien qui ne soit pas parfaitement réalisé.
Et de face, comme de dos. Le soin de finition est le même pour le dessus de pont visible que pour le dessous de la pièce sous la pièce sous la pièce. Ça ne sert objectivement à rien mais c’est ça aussi Patek : savoir que tous les composants de sa montre ont été travaillés avec le plus grand soin.
Le confort vient indéniablement aussi de son bracelet, magnifiquement intégré à la boite (merci M.Genta).
Outre sa finition impeccable dans les moindres détails, il a (ce que j’ai toujours aimé dans les bracelets Rolex mais ici beaucoup plus accentué) cette mise en fuite si élégante qui affine l’objet et (ce que j’ai adoré chez Grand Seiko) un cassé d’angle poli sur les bords extérieurs des mailles.
Toujours dans un souci de finesse, Patek a fait le choix de mettre une boucle triple réduite à son plus simple appareil.
Alors petite source de critique pour moi néanmoins ici : elle apparaît bien trop simple pour ce niveau de gamme et, surtout, elle est très dure à ouvrir donc on s’arrache les doigts à chaque opération.
Je pense que sans remettre en cause l’épaisseur et l’élégance, il aurait été tout à fait possible de concevoir un petit système à bascule, type nouveau fermoir Rolex, pour ouvrir sans peine son bracelet. M.Patek, si vous m’entendez…
Bref, tout cela étant dit, je me retrouve avec une montre de fou au poignet et qui devrait logiquement mettre fin à toutes mes aspirations d’autres montres.
Combien d’entre nous pensaient déjà à la prochaine quand ils déballaient à peine la nouvelle ?
Là, aucune pensée en ce sens pour moi. J’ai le sentiment d’être arrivé au bout du chemin (alors, oui, je sais, il y a forcément encore mieux chez Patek ou ailleurs), ce qui devrait me permettre d’enfin tourner la page de ces 10 années d’achats/vente de montres et me concentrer sur de nouveaux objectifs (acheter un appart, faire des enfants, ce genre de trucs quoi)
Je ne dis pas que je ne vais plus m’intéresser aux montres mais qu’au moins maintenant j’acquiers via ce modèle une certaine paix intérieure et le sentiment de la satisfaction réalisée par l'atteinte du sommet de la montagne.
Non pas que je ne serai plus attiré par d’autres modèles mais qu’il sera dorénavant très difficile de descendre en gamme donc je ne me permettrai plus de songer à l’achat de peur d’être inévitablement déçu.
J’ai un bon ami, collectionneur et amateur éclairé parmi les éclairés qui a fini par tout revendre pour ne garder que sa 5980 et une G-shock.
Je me suis longtemps foutu de lui, arguant du bonheur du changement quotidien de montre mais il m’est bien forcé d’admettre aujourd’hui que je n’arrive plus à porter ma Grand Seiko d’amour plus de 30 mn sans que la PP me manque et je ne parle même pas de la Panerai qui m’apparait dorénavant comme un gros steak sans saveur.
La GMT2 restera pour voyager ou faire le malin dans la boue mais j’ai bien l’impression de pouvoir finir un jour comme lui.
Et le pire, c’est que ça me rend heureux